La France et ses idéologies

En France, nous aimons philosopher – ce qui est d’ailleurs un pléonasme, puisque « philo » veut dire aimer. Philosophie = amour de la sagesse, des idées. Cela est démontré par l’instauration de l’épreuve obligatoire de philosophie au baccalauréat dès sa création en 1808 par Napoléon. Ceci est une spécificité française, aucun autre pays au monde n’y accorde autant d’importance.

Les français (au moins l’élite intellectuelle) conçoivent une certaine suprématie dans l’idée d’être capable de philosopher. Il est difficile à dire si cette idée de suprématie est la cause ou la conséquence de cet auto-formatage par l’épreuve de philosophie.

Cette idéologie a contribué à la grandeur de la France durant le siècle des Lumières (XVIII siècle), mais elle amène à dénigrer l’action, le concret, le matériel, l’argent. La France était donc moins apte à la révolution industrielle qui arrive au XIXème siècle.

Et nous sommes toujours moins aptes à créer et conserver nos industries, nos entreprises et nos emplois. Depuis 2008, la crise révèle de façon plus flagrante cette inaptitude : en 2014 la France compte environ 1 400 000 chômeurs (de 7,5% à 10,5% de la population active) de plus qu’en 2008 année de début de la dernière série de crises économiques. Les gouvernements successifs n’ont pas su créer les bonnes conditions pour la création d’entreprises et la création d’emploi.

Chomage
S’il devait y avoir une seule priorité de l’Etat ce serait certainement le plein emploi seul garant de l’équilibre sociétal. Le plein emploi est aussi le seul espoir d’une réduction durable du déficit budgétaire et donc de la dette de l’Etat. A contrario, un taux de chômage élevé n’induit non seulement une précarité économique et une exclusion progressive des sans emplois de la société, mais aussi un stress alarmant dans l’ensemble de la population. Il est donc absolument vital pour tous de réduire le taux de chômage, et même si pour cela il faut que les français sacrifient certaines de ses idéologies… puisque vraisemblablement il n’y pas de réponse unique à cette problématique, c’est un ensemble de changements qui pourraient créer un contexte favorable à la croissance et à l’emploi. Ce qui suit va faire pousser des cris d’orfraie à plus d’un.

  • Le travail le dimanche : en dépit de nombreuses polémiques à ce sujet, il mérite réflexion. Anecdote : je rencontre fréquemment des élus, ayant voté contre le travail le dimanche, dans des enseignes de bricolage qui sont ouvertes ce jour-là. Pour ajouter à la polémique, les règles sur le travail du dimanche comportent déjà de nombreuses exceptions. En 2011 déjà, presque un tiers des salariés travaillent déjà le dimanche et ce taux se monte à 82% pour certaines catégories de travailleurs. Même s’il est de tradition chrétienne de ne pas travailler le dimanche, ce changement vaut le coup d’être mis en œuvre pour créer des opportunités de consommation et d’emplois supplémentaires.
  • Les 35 heures : dénoncées haut et fort ou à demi-mot par de nombreux économistes, même l’INSEE (sans faire expressément la corrélation) – voir les informations trouvées sur le site de l’INSEE (rappel : année 2000 mise en place des 35 heures)
    Insee-TauxdeMarge
    http://www.insee.fr/sessi/cpci/cpci2004/cpci2004_f14.pdf

    Après 4 années de croissance significative (depuis 1997) le PIB français marque un net ralentissement en 2001.
    Perdre 3 points de croissance en 3 ans est une catastrophe économique majeure qui n’a pas l’air d’avoir fait réagir le gouvernement de l’époque.
    PIB
    http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=159
    TauxMarge
    http://www.insee.fr/sessi/cpci/cpci2004/cpci2004_f14.pdf
    En 1999, l’année précédente de la mise en œuvre des 35 heures, les comptes d’exploitation des entreprises de France se situent ainsi (voir les bases de données INSEE).
    CompteRésultat
    Donc passer de 39 heures à 35 heures par semaine payées au même tarif implique une augmentation de la masse salariale (par embauche ou heures supplémentaires) de 39/35=+11,42%. Soit en pourcentage du CA de 1,6% du CA. 1,6% du CA représente 42,1% du résultat courant avant impôts et 67,2% du résultat de l’entreprise (en moyenne). La mise en œuvre des 35 heures a donc demandé aux entreprises une réduction moyenne des deux-tiers de leur résultat. Ce n’est pas étonnant, qu’il a fallu aux entreprises trouver des contournements et même à l’Etat de les aider (notamment avec la défiscalisation des heures supplémentaires, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui).
  • Les acquis sociaux dans certaines grandes entreprises: EDF, GDF, RATP, SNCF, Air France, … les privilèges des salariés – actifs ou retraités, et dans certains cas leurs ascendants et descendants – laissent rêveur l’ensemble des autres salariés (et usagers de ces entreprises). Surtout que ce sont ces derniers qui paient ces privilèges à travers le prix final des services ou produits.
    L’ampleur de ces privilèges n’est pas anecdotique : rien que pour la SNCF la cour des comptes les estime à entre 100 M€ et 140M€ par an et 1,1 millions de bénéficiaires ; pour l’EDF à 381 M€ par an ; pour Air France 2,3 millions de billets et 90 M€ par an.
    Les avantages en nature des entreprises à leurs salariés devraient se limiter à 30% ou 35% du prix public (comme le recommande l’URSSAF), mais ces privilèges vont de 75% de réduction à la gratuité et pour beaucoup sans aucune incidence sur leur imposition.
    Le 1% du chiffre d’affaire versé au comité d’entreprise de certaines de ces grandes entreprises est une aberration économique et encourage de nombreuses dérives au mépris de l’usager (gestion calamiteuse et détournements de fonds de grande ampleur). Car ce privilège a un coût exorbitant pour les usagers et pour l’entreprise – ce versement devrait être tout au plus de 1% du résultat de l’entreprise.
    Les avantages (retraites et parachutes dorées de quelques millions à plusieurs dizaines de millions d’euros) des plus hauts dirigeants de ces entreprises sont tout aussi scandaleux.
    Le parachutage des hauts fonctionnaires à des fonctions parfois virtuelles mais rémunératrices – estimé à 3M€ cumulés par nomination et à plusieurs centaines par mandature présidentielle.
    Dans un certain sens on pourrait dire que les « acquis sociaux » de certains salariés et grands patrons vont à l’encontre du progrès social puisque les acquis sociaux sont le privilège d’une minorité tandis que le progrès social devrait être pour tous. Une réglementation plus stricte de ces privilèges (dont le montant cumulé atteint quelques milliards par an) devrait redonner un peu de pouvoir d’achat aux français.
  • L’exil fiscal: il y a 2 types majeurs d’exil fiscal – le premier pour les riches qui peuvent aller se fiscalisés dans des pays plus accueillants et ainsi échapper aux impôts en France, et le second pour les moins riches qui accomplissent leurs activités économiques (en totalité ou partiellement) au noir échappant ainsi à la fiscalité française.
    En Europe, les destinations sont principalement la Grande Bretagne, la Belgique, l’Italie, la Suisse, tout récemment le Portugal et le Maroc. Les entrepreneurs se dirigent plutôt vers la Grande Bretagne, les retraités vont s’installer au Portugal, les gens aisés préfèrent Londres, Bruxelles et la Suisse. L’accroissement des flux est véritablement impressionnant : 130 000 Français en Grande Bretagne en 2007, près de 500 000 aujourd’hui. Selon Bercy, en 2012 environ 800 foyers s’exilaient par an, et plus de 1000 par an en 2014.L’économie du marché noir dans certains pays européen – Grèce ou Italie – est une plaie pour ces pays. En France, cette économie au noir est en constante augmentation.Avec plus de 60 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires entre 2011 et 2013, la France devient championne d’Europe de la fiscalité et par conséquent elle sera aussi championne de l’exil fiscal que ce soit par l’étranger ou par l’intérieur avec le travail au noir.

La souffrance des français au chômage exige que le bon sens économique prévaut sur l’idéologie économique. La richesse ne peut être redistribuée que si le pays est dans un contexte favorable pour en créer.

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